“Une septième limite planétaire en voie d’être franchie”. Les limites planétaires représentent un défi majeur pour l’humanité, remettant en question notre modèle de développement et l’équilibre fragile des écosystèmes qui soutiennent la vie sur Terre. Face à l’épuisement des ressources naturelles, à la dégradation de la biodiversité et aux changements climatiques, il devient impératif de repenser nos modes de production et de consommation afin de préserver les conditions nécessaires à l’habitabilité de notre planète, recréer du lien social et rendre les transitions désirables.
Tous les territoires sont aujourd’hui soumis aux risques liés aux changements climatiques. En 2023, environ 80% de la population française vivait en milieu urbain (INSEE, Insee, recensement de la population 2017, unités urbaines 2020). Les villes sont à la fois des contributrices majeures au changement climatique, et des lieux particulièrement vulnérables à ses impacts. En tant que centres d’activités économiques, sociales et démographiques, les villes consomment une part importante des ressources mondiales et sont responsables en France de 67% des émissions de gaz à effet de serre du pays, notamment à travers les secteurs des transports, de l’industrie et du bâtiment (Il était une data : en France, les villes sont responsables de 67% des émissions de gaz à effet de serre ?Presse de Sciences Po, 2022) . Parallèlement, les villes sont en première ligne face aux phénomènes météorologiques extrêmes tels que les vagues de chaleur, les inondations et les tempêtes. L’Indonésie, pays fortement touché par la montée des eaux, s’apprête notamment à remplacer sa capitale Jakarta par une autre ville à cause de la montée des eaux.
Les villes doivent certes être plus résilientes et durables, mais elles doivent aujourd’hui aller au-delà des enjeux d’adaptation au changement climatique. Les écosystèmes urbains ne doivent pas seulement limiter leurs externalités négatives sur l’environnement et sur la société, mais participer à la régénération des écosystèmes. Ils doivent être proactifs dans la création d’impacts positifs pour la planète et la société en réparant, régénérant, en favorisant la circularité, la sobriété et l’interconnexion. Le concept d’urbanisme circulaire a notamment été introduit par l’urbaniste Sylvain Grisot et sert “à mettre en récit, de façon claire et lisible, une approche plus durable de la ville et d’agir en conséquence” (Manifeste pour un urbanisme circulaire, Sylvain Grisot, 2021).
Le concept “régénératif” appliqué au développement durable a émergé dans les travaux de plusieurs théoriciens dans les années 1990, comme « Regenerative Design for Sustainable Development » de John T. Lyle en 1994, ou encore Billy Reed qui a théorisé le principe d’urbanisme régénératif dans les années 1990, avec le Regenesis Group, une organisation spécialisée dans le développement durable et régénératif.
Le concept de villes régénératives est ainsi une synthèse des idées sur la durabilité, la restauration des écosystèmes et l’économie circulaire, porté par des penseurs comme John T. Lyle, Bill Reed, Janine Benyus, et des organisations telles que la Fondation Ellen MacArthur.
La ville régénérative introduit un véritable changement de perspective et nous incite à réévaluer profondément notre relation avec la nature. Il s’agit de ne pas chercher à maitriser son environnement, mais à être un des participants au sein d’un écosystème complexe et interconnecté, où chaque acteur joue un rôle essentiel.
Chez MoHo, nous animons des coalitions pour faire penser et concevoir des villes sobres, circulaires, justes, saines et joyeuses, où le vivant et la coopération occupent une place centrale. C’est l’enjeu de la ville régénérative, qui réharmonise les interactions entre les activités humaines et les écosystèmes naturels, tout en soutenant le bien-être des habitants, la diversité biologique et la santé de l’environnement. Pour cela, les villes doivent aller au-delà des stratégies d’adaptation au changement climatique, et remettre le Vivant et la coopération au cœur des modèles urbains pour construire des villes désirables.
Ce courant de pensée des villes régénératives se base sur plusieurs aspects :
Une meilleure gestion des ressources et une économie circulaire
La ville régénérative fonctionne sur un usage optimal des ressources, avec une économie circulaire au cœur de la résilience urbaine. Les déchets sont transformés en ressources grâce au recyclage, au compostage, et à la réutilisation. L’utilisation des matériaux et des ressources naturelles est également optimisée. Cette approche permet de réduire la dépendance aux ressources extérieures et de développer une boucle fermée ressources/déchets.
Les villes de demain devront améliorer leur gestion de l’eau pour s’adapter aux sécheresses ou aux pluies abondantes. Cela inclut le recyclage des eaux usées, la récupération des eaux de pluie et des systèmes d’irrigation efficaces. Ces pratiques permettent de mieux utiliser les ressources en eau et de garantir une distribution stable, même en période de crise.
La ville de Copenhague s’appuie sur un système de gestion des eaux de type régénératif : en réponse aux défis posés par le changement climatique et aux risques d’inondations croissants, la ville a mis en place un système innovant de gestion des eaux pluviales qui non seulement protège contre les inondations, régénèrent les nappes phréatiques en captant jusqu’à 30% des eaux pluviales, favorisent la biodiversité urbaine, améliorent la qualité de l’eau de rivières et permet des économies d’énergies.
Les milieux urbains doivent s’appuyer sur des énergies propres comme le solaire, l’éolien et la géothermie pour réduire les émissions de gaz à effet de serre. L’intégration de systèmes d’énergie décentralisés (comme les microgrids) rend la ville plus autonome et résiliente en cas de crises énergétiques. Freiburg, surnommée la « capitale écologique » d’Allemagne, illustre la gestion régénérative de l’énergie. La ville a adopté une stratégie énergétique durable qui dépasse la simple réduction des émissions de carbone, en intégrant des éléments de régénération et de restauration des ressources naturelles. Le système énergétique de la ville est basé sur une énergie solaire omniprésente, des bâtiments qui produisent plus d’énergie qu’ils n’en consomment et aident à régénérer le système énergétique global et rendre les ressources locales plus résilientes.
Des solutions basées sur la nature
Intégrer des solutions basées sur la nature, comme la réintroduction de zones humides, la plantation d’arbres et la préservation de la biodiversité urbaine, renforce la résilience des villes. Ces éléments naturels agissent comme des tampons contre les effets du changement climatique comme les îlots de chaleur, les inondations une mauvaise qualité de l’air.
La régénération des écosystèmes passe également par la renaturation des villes. En recréant des écosystèmes fonctionnels dans les zones urbaines, comme la réintroduction de zones humides ou la renaturation des rivières, la ville régénérative améliore la résilience face aux inondations, tout en favorisant la biodiversité et le captage du carbone.
Des infrastructures résilientes
Pour faire face aux aléas climatiques, les infrastructures doivent être conçues de manière à résister aux événements climatiques extrêmes tels que les inondations, les vagues de chaleur et les tempêtes. Les bâtiments doivent être conçus pour résister à ces événements. Sur les côtes, des digues ou des zones tampon doivent être construites pour prévenir la montée des eaux.
La planification urbaine doit intégrer des principes de durabilité pour réduire les externalités négatives des villes sur l’environnement et ainsi réduire sa participation au changement climatique et à l’effondrement de la biodiversité. Par exemple, la création d’infrastructures vertes, telles que les parcs, les toits végétalisés et les jardins urbains, permet non seulement de capter le CO2, mais aussi d’améliorer la gestion des eaux pluviales, atténuant ainsi les risques d’inondations et d’érosion.
La maison Josh’s House en Australie a été construite dans un objectif d’efficacité énergétique et de résilience : basées sur des principes de conception solaire passive bien établis afin d’assurer un confort thermique maximal tout au long de l’année, sans climatisation ni chauffage artificiel. Des installations et des appareils électroménagers économes en eau et en énergie, combinés à la production d’énergie sur place, à la récupération des eaux de pluie et au recyclage des eaux grises, contribuent à la performance environnementale des maisons…
“Nous devons basculer sur un urbanisme circulaire où, une fois qu’un sol a été utilisé pour un usage urbain et qu’il n’a plus de fonction agricole ou naturelle, on maximise son usage”. Sylvain Grisot
Une mobilité douce
Les villes de demain doivent développer des services et infrastructures de mobilité bas carbone robustes, flexibles et inclusives pour soutenir la résilience urbaine et utilisant les ressources déjà présentes au sein du système urbain, y compris les déchets.
La promotion des modes de transport doux (marche, vélo) et des transports en commun non polluants (bus électriques, tramways, trains à hydrogène) permet de réduire la pollution atmosphérique et de limiter l’empreinte carbone du secteur des transports. Des systèmes de mobilité partagée (autopartage, vélos en libre-service) permettent également une optimisation des ressources.
Toutes ces évolutions passent par la planification urbaine et périurbaine, qui permettent notamment de diversifier et sécuriser les systèmes de déplacement face aux crises. Cette planification sur la mobilité implique de repenser où sont placés les logements, les centres d’activités et de loisirs. La réflexion doit inclure à la fois les acteurs économiques et les citoyens afin d’assurer une désirabilité des aménagements.
Des systèmes alimentaires locaux et résilients
La ville régénérative a une approche durable et circulaire de la production, de la distribution et de la consommation alimentaire. L’objectif est de créer un système alimentaire qui régénère les écosystèmes urbains tout en garantissant une alimentation saine et locale pour les habitants. Cela permet d’avoir une sécurité nutritionnelle, tout en réduisant la dépendance aux chaînes d’approvisionnement mondiales.
Selon les travaux de la Chaire Agriculture Urbaine d’Agro Paris Tech, l’agriculture urbaine peut être définie simplement comme une activité agricole située à proximité de la ville (appelée « péri-urbaine ») ou à l’intérieur même de la ville (dite « intra-urbaine »), qui entretient une relation fonctionnelle avec celle-ci. Elle contribue à l’approvisionnement alimentaire tout en offrant divers services aux citadins, tels que la création de liens sociaux, la gestion des eaux pluviales, la valorisation des déchets urbains, ainsi que la sensibilisation à l’environnement.
Ces systèmes alimentaires durables et circulaires utilisent des pratiques de permaculture et d’agroécologie, qui permettent de produire des aliments tout en régénérant les écosystèmes, en favorisant la création de nouveaux écosystèmes et en captant le carbone dans les sols.
Dans une ville régénérative, le système alimentaire est circulaire : les déchets organiques sont transformés en ressources, comme du compost pour les sols ou du biogaz pour l’énergie. Les eaux usées peuvent également être traitées et réutilisées pour l’irrigation des cultures. Cela permet de minimiser les déchets et de maximiser l’utilisation des ressources locales tout en contribuant à la régénération des sols.
La santé et le bien-être urbain
L’environnement joue un rôle essentiel dans la santé humaine, en influençant celle-ci via divers éléments : la qualité des milieux naturels (comme l’air ou l’eau), les nuisances qui s’y propagent (telles que le bruit ou l’insalubrité), ainsi que les fluctuations climatiques. De plus, les activités humaines, qu’il s’agisse de l’industrialisation, de l’urbanisation ou du développement technologique, peuvent également affecter la santé. Selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS), 23 % des décès et 25 % des maladies chroniques à l’échelle mondiale sont liés à des facteurs environnementaux et comportementaux, tels que la qualité de l’air intérieur et extérieur, celle de l’eau et de l’alimentation, ainsi que l’exposition aux produits chimiques, aux ondes, au bruit, entre autres.
Les villes régénératives sont conçues pour être résilientes face aux crises, qu’elles soient climatiques ou sanitaires, mais également pour éviter que ces crises adviennent grâce à l’harmonie créée entre tous les écosystèmes, Humain et Vivant. L’accès à des ressources locales, une organisation communautaire forte et des infrastructures adaptées (comme des logements et services résilients) permettent de mieux faire face aux aléas.
Un système d’alimentation saine et locale, une meilleure qualité de l’eau et un accès équitable aux services de santé permettent de garantir une bonne santé des habitants. La réduction des îlots de chaleur, de la pollution de l’air, de la pollution sonore et la renaturation des milieux urbains améliorent également la santé publique et le bien-être des habitants.
Le lien social et la cohésion
La ville régénérative renforce le tissu social et implique les citoyens dans le développement de villes désirables en créant des espaces de dialogue et permettant un vivre ensemble harmonieux entre l’Humain et le Vivant.
La ville régénérative repense la manière de se loger pour encourager une plus grande sobriété dans les infrastructures de logement, une désirabilité des logements collectifs et une coopération entre les habitants avec la mutualisation des espaces et des services, permettant une réduction de l’empreinte environnementale des logements et un renforcement des liens sociaux.
Des initiatives allant vers des modèles régénératifs se développent en France, comme l’éco-village de Val de Reuil : cet éco-village encourage la diversité fonctionnelle et sociale en proposant à la fois des logements individuels et de petits ensembles collectifs, ainsi qu’une crèche et des jardins partagés. Une activité de maraîchage y est également développée. Un parc écologique, intégrant un pré pour les ânes et un observatoire à oiseaux, favorise les interactions et le retour de la faune. Par ailleurs, des voies vertes renforcent la connexion entre les habitations et la berge semi-naturelle adjacente.
S’il existe des exemples d’initiatives dans les villes sur certain secteurs (gestion des ressources en eau) ou de bâtiments à visée régénérative, la notion de ville régénérative ne dispose pas exemple d’exemple concret et fonctionnel. La biodiversité reste encore absente dans la majorité des conceptions urbaines, et demandent une transformation à de nombreux niveaux (politique, économique, social et technologique).
Face aux défis climatiques et à l’urgence de la sobriété, créons des espaces de dialogue pour imaginer des villes désirables, favorisons les coopérations entre collectivités, entreprises, associations, citoyen.nes, étudiant.es, artistes et chercheur.euse.s pour déployer des solutions soutenables et cohérentes.
Par les coalitions MoHo, réinventons des systèmes urbains qui réparent, revitalisent et régénèrent les ressources naturelles et les relations sociales.
MoHo lance la coalition Villes Régénératives, en s’appuyant sur le succès de nos deux premières coalitions, Villes & Vivant (co-portée avec makesense et Ceebios) et Mobilité Durable. Chaque coalition a permis de traiter des problématiques concrètes grâce à des formats d’intelligence collective sur plusieurs mois et d’embarquer des acteurs diverses vers une nouvelle vision commune.
Vous êtes une collectivité, un porteur de projet, un acteur solution, une entreprise, une association, rejoignez la coalition et contactez : eva@moho.co
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Clémence Pille – Cheffe de projet mobilité durable et contenus