A l’occasion de la semaine européenne de la mobilité et dans le cadre de sa coalition mobilité durable, MoHo vous propose une série d’articles et d’interviews sur les changements de comportements de mobilité sur les trajets domicile-travail en lien avec l’organisation du travail et l’accompagnement au changement d’habitudes.
Sonia de Abreu est psychologue en accompagnement au changement social et durable et participe à la Coalition Mobilité Durable en tant qu’experte sur ce sujet. Elle nous plonge au cœur de l’imaginaire collectif autour de la voiture individuelle, de ses symboles, et nous donne des clés pour déconstruire ces représentations afin de se détacher du système du tout voiture, et rendre nos mobilités plus propres.
Malgré la connaissance de la crise climatique, pourquoi la voiture individuelle reste-t-elle le premier réflexe pour se déplacer, pourquoi reste-t-elle omniprésente et perçue comme un symbole de puissance et de liberté ?
Quels sont les freins psychosociaux à l’abandon de la voiture individuelle ?
Les freins psychosociaux sont les freins psychologiques et sociaux déterminés par l’environnement d’un individu, qui l’empêchent de changer ses habitudes. Les différents types de freins psychosociaux font échos à différents leviers pour provoquer le changement d’habitudes, notamment de mobilité :
- les freins cognitifs, liés à la connaissance, aux croyances, au raisonnement, à la perception des risques etc. Par exemple, les individus n’ont pas forcément connaissance du lien entre l’utilisation de la voiture individuelle et les nuisances sur la planète et la santé.
- les freins sociaux. Par le biais du mimétisme, les comportements de mobilité des pairs sont implicitement ce qui est attendu de faire. Aller au travail en voiture est souvent le comportement majoritaire chez les collègues et les proches des individus.
- les freins motivationnels, liés à différents types de motivation et donc de leviers :
- levier financier : il faudrait déconstruire l’idée qu’utiliser les transports en commun régulièrement coûte plus cher qu’utiliser sa voiture individuelle tous les jours,
- levier affectif : il faudrait déconstruire l’aspect affectif lié au plaisir de conduire, à la sécurité, à la liberté, au confort de la voiture, en développant ce lien affectif à des modes de transport alternatifs,
- levier altruiste : il faudrait inciter les individus à moins utiliser la voiture dans l’objectif de préserver la planète et d’œuvrer pour la société.
Chacun de ces freins pourra être retrouvé à différents degrés chez les individus, d’où l’importance du diagnostic afin d’identifier les freins et d’activer les bons leviers.
Pourquoi la connaissance du lien entre notre mode de vie et le changement climatique ne suffit pas à changer les comportements ?
Cette connaissance implique des niveaux de motivation très différents selon les individus. Il faut d’abord prendre conscience de cette crise, puis du lien avec nos comportements personnels.
Des distances psychologiques par rapport aux changements climatiques bloquent souvent nos changements de comportement vers des modes de vie plus écologiques :
- le sentiment d’une distance temporelle : se dire que les impacts climatiques vont avoir lieu dans très longtemps, en 2100 par exemple. Il faut donc développer une sensibilité pour penser que ces changements impacteront les descendants des individus, donc que cela les touche directement.
- le sentiment d’une distance spatiale avec les conséquences actuelles des changements climatiques qui touchent d’autres pays ou d’autres continents, notamment avec les campagnes de sensibilisation montrant des ours polaires sur une banquise qui fond. Il faut déconstruire cette idée que cela ne nous concerne pas directement.
Certains leviers suffisent à provoquer le changement chez certains individus, alors qu’ils va falloir multiplier les leviers d’action chez d’autres personnes. Tous les autres freins psychosociaux mentionnés précédemment sont donc à prendre en compte dans la conduite du changement.
Quelle importance de l’éducation dans la définition des comportements de mobilité ?
L’éducation est primordiale dans la définition d’habitudes de mobilité. L’enfant est rapidement imprégné du système tout voiture, notamment pour les trajets maison-école ou maison-loisirs.
Les parents doivent être sensibilisés à tous ces enjeux afin d’inculquer les bons réflexes chez les enfants, mais ces derniers ont aussi un pouvoir de sensibiliser leurs parents en les questionnant sur leurs pratiques au quotidien.
Ensuite, les changements de vie sont des leviers importants dans la définition de nouvelles habitudes de mobilité :
- après le lycée : l’étudiant peut profiter pleinement des avantages du système du tout voiture avec l’obtention du permis, ou alors perdre cette habitude en quittant le domicile familial et en habitant près de son lieu d’études,
- le passage à la vie active : les actifs peuvent s’installer plus loin des villes, en sachant qu’ils ont une voiture pour effectuer leurs trajets du quotidien. L’entreprise a un grand rôle à jouer auprès de ses nouveaux salariés pour éviter que ce “tout-voiture” ne devienne leur routine et qu’ils essaient des alternatives à la voiture individuelle dès le départ.
Quel est l’imaginaire collectif autour de la voiture ?
La voiture est liée à une norme sociale implicite sur notre statut social. Dans l’imaginaire collectif, quelqu’un qui réussit dans la vie a une grosse voiture, puissante, qui pollue.
Cet imaginaire s’est construit à cause de tout ce qui nous entoure. Les voitures sont omniprésentes dans notre environnement : sur les routes, dans les rues, sur les trottoirs, dans les films (Fast and Furious), dans les dessins animés (Cars), dans les loisirs (courses automobiles), dans les jeux des enfants (voitures et circuits automobiles miniatures), dans les jeux vidéos, dans les publicités à la télévision, à la radio, dans les journaux…
Comment renverser l’imaginaire collectif autour de la voiture ?
Les acteurs de la transition écologique (ONG, associations, agences de l’Etat type) n’ont qu’une partie des cartes en main pour déconstruire cet imaginaire collectif, car les médias, les entreprises, les collectivités et les constructeurs automobiles continuent à alimenter cet imaginaire.
D’un côté, le gouvernement et les médias ont une responsabilité et un pouvoir très forts car ils acceptent et renforcent les messages des constructeurs automobiles, notamment avec leurs publicités. Ces constructeurs doivent travailler pour développer des véhicules moins polluants.
D’un autre côté, il y a une responsabilité individuelle à avoir un esprit critique sur ce qui est véhiculé autour de nous. Les individus sont manipulés constamment sur ce qu’ils voient, notamment avec des publicités ciblées sur les réseaux sociaux. C’est à nous de nous intéresser et d’avoir cet esprit critique pour prendre du recul et comprendre que ce qu’on nous présente n’est pas vrai : la possession d’une grosse voiture ne nous rend pas plus puissant.
Un chiffre à avoir en tête ?
Au 1er janvier 2023, il y avait 38,9 millions de voitures en circulation en France. Mais combien y a-t-il véritablement de voitures autour de nous, en comptant les voitures “dématérialisées” dans les publicités, dans les films, dessins animés, sur les réseaux sociaux… Dans la maison également, les enfants jouent avec des petites voitures, mais jamais avec des vélos miniatures. La voiture est présente partout.
Découvrez la suite de cette série d’articles avec la troisième interview de Sonia de Abreu sur le rôle de l’entreprise dans l’accompagnement au changement d’habitudes de mobilité des salariés.
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Clémence Pille, interview de Sonia de Abreu