A l’occasion de la semaine européenne de la mobilité et dans le cadre de sa coalition mobilité durable, MoHo vous propose une série d’articles et d’interviews sur les changements de comportements de mobilité sur les trajets domicile-travail en lien avec l’organisation du travail et l’accompagnement au changement d’habitudes.
Sonia de Abreu est psychologue en accompagnement au changement social et durable et participe à la Coalition Mobilité Durable en tant qu’experte sur ce sujet. Découvrez dans cette interview l’importance de l’accompagnement au changement dans les démarches de mobilité durable en entreprise.
Pourquoi utiliser l’accompagnement au changement ?
Le choix d’un mode de déplacement par un individu est influencé par des paramètres psychologiques et sociaux, son mode de vie, ses représentations, etc.
L’approche psychosociale permet d’agir de façon personnalisée sur ces freins afin de donner aux individus les bons outils pour provoquer le changement.
Cette approche comprend 3 étapes : le diagnostic (connaitre les déterminants psychosociaux chez l’individu), l’intervention (donner les outils adaptés aux déterminants psychosociaux de l’individu) et l’évaluation (développer les indicateurs d’évaluation adaptés et évaluer).
Comment les entreprises peuvent accompagner les salariés à décarboner leur mobilité domicile-travail ?
L’entreprise doit prendre en compte le facteur humain et les aspects psychosociaux chez les salariés pour déployer des actions adaptées aux caractéristiques de ses salariés, et aux moyens humains et financiers dans l’entreprise.
Les entreprises ont tendance à se donner des objectifs trop ambitieux. Si 80% de la masse salariale en est à cette première étape de sensibilisation aux enjeux environnementaux et de mobilité, l’entreprise ne peut pas se donner un objectif de 50% de salariés qui changent de mode de déplacement principal dans les semaines suivantes. L’entreprise doit faire ce travail de diagnostic psychosocial chez les salariés pour connaitre leur propension au changement.
L’entreprise peut accompagner le changement de différentes façons :
- la sensibilisation : avec des récompenses, des challenges, des Fresques (climat, mobilité, etc.),
- des techniques psychosociales qui sont importantes d’associer aux outils de sensibilisation : l’implémentation d’intention, l’étiquetage social, l’engagement, le renforcement des normes sociales avec le mimétisme.
Quelle importance du mimétisme en entreprise dans le changement de comportement de mobilité ?
Les normes sociales dans les entreprises représentent une porte d’entrée pour changer les comportements, avec l’influence des comportements des managers et la culture d’entreprise.
Cette culture d’entreprise peut impacter les comportements des salariés. Un agrandissement du parking de l’entreprise encourage à venir en voiture, tandis qu’une réduction du nombre de places de parking pour les voitures encourage le report modal.
Le mode de management est un élément clé dans l’accompagnement au changement des salariés. Un leadership transparent sur ses actions et des salariés qui sont écoutés sur leurs besoins favorisent le contexte pour déclencher le changement.
Comment s’assurer que l’entreprise soit inclusive dans ses démarches sur la mobilité bas carbone ?
Le projet mobilité de l’entreprise doit être inclusif et ne pas promouvoir une solution unique comme le vélo, qui serait accessible uniquement par les salariés habitant suffisamment près du site de l’entreprise. L’entreprise doit penser à la multimodalité afin de répondre au maximum à la diversité des situations des salariés.
L’entreprise doit adopter une posture de non jugement et de bienveillance envers tous ses salariés, afin qu’aucun salarié ne se sente pointé du doigt s’il n’utilise pas le mode de déplacement majoritairement utilisé ou mis en avant dans l’entreprise.
Pourquoi l’approche psychosociale reste peu utilisée dans les démarches sur la mobilité durable en entreprise ?
Il existe d’abord des réticences à la fois des salariés et des dirigeants à engager l’entreprise sur ces sujets de transitions, et encore plus à travailler dessus avec cette approche psychosociale. Le terme d’”accompagnement au changement” fait moins peur que le terme “psychologie”.
Il est courant de penser que la psychologie est utilisée pour manipuler. Pourtant, le psychologue respecte l’autonomie des individus et ne prône pas d’obligations. L’objectif est que les individus développent des comportements bénéfiques pour eux et pour leur environnement, préservant leur libre-arbitre.
Est-il plus simple de changer ses habitudes de mobilité sur des trajets moins routiniers que les déplacements domicile-travail ?
Une habitude répétée quotidiennement comme les trajets domicile-travail demande un effort cognitif très élevé pour réussir à s’en défaire.
Les déplacements moins routiniers (vacances, visites médicales etc.) sont intéressants pour expérimenter des modes de déplacements alternatifs à la voiture, car l’individu n’a pas réellement développé d’habitudes sur ces trajets. C’est l’occasion d’expérimenter le train ou le covoiturage pour partir en vacances par exemple.
Les trajets moins routiniers comportent également moins de pression sociale et de normes ciblées sur la voiture. Cependant, les normes liées aux trajets longues distances restent tournées vers l’avion par rapport au train qui est perçu comme trop chronophage et trop cher. C’est ce frein financier qui, en diminuant, peut devenir une incitation et faire basculer la norme sociale de l’avion vers le train.
Après une mauvaise expérience avec un mode de déplacement, comment renverser les barrières psychologiques qui se sont créées ?
Les accidents à vélo ou en trottinette, ou les retards avec les transports en commun engendrent des émotions négatives et le risque est de revenir à la voiture individuelle si l’individu n’est pas accompagné par un tiers avec les outils qui lui sont adaptés, pour passer outre ces émotions.
L’entreprise doit prendre en compte cet aspect émotionnel et comprendre les barrières psychologiques chez les salariés qui ont eu ces mauvaises expériences afin de déployer des outils adaptés : participer à équiper le salarié de matériel sécurisant pour le vélo et la trottinette, réfléchir à une flexibilité dans l’organisation du travail en fonction des horaires de bus et des itinéraires des salariés.
Qu’est ce qui ferait bouger les lignes ?
Il faut que les entreprises prennent plus en compte le facteur humain et ne soient pas uniquement concentrées sur des réglementations ou des solutions de mobilité bas carbone qui ne seront pas adaptées aux profils des collaborateurs.
C’est là que d’autres acteurs tiers peuvent entrer en jeu, afin de sensibiliser les entreprises aux enjeux environnementaux et sociétaux, et à l’importance d’accompagner au changement avec une approche humaine. Les entreprises et les psychologues sociaux parlent des langages différents. Les acteurs relais, telle que l’Agence Normande de la Biodiversité et du Développement Durable, facilitent également les choses.
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Clémence Pille, interview de Sonia de Abreu.