Interview - Tim Grabiel, avocat engagé

Interview – Tim Grabiel, avocat engagé

Juriste et conseiller en politiques pour l’Environmental Investigation Agency, Tim Grabiel est peu connu du grand public. Réputé comme l'un des plus grands lobbyistes écologique au monde, Tim est considéré comme l'une des personnes clés dans les négociations pour l’élaboration d’un futur traité international sous l’égide de l’ONU contre la pollution plastique.

Dans le cadre de notre initiative « Deplastify The Planet », MoHo vous propose de découvrir le portrait des 100 personnes clés qui comptent dans la lutte contre la pollution plastique. Chercheur, lobbyiste, activiste, entrepreneur, journaliste, politique, nous vous proposons de les rencontrer et de lire leur vision du sujet et des solutions pour éradiquer la pollution plastique.

Merci Tim d’avoir accepté notre invitation. Pouvez-vous nous rappeler qui vous êtes ?

Je conseille et accompagne des Etats ou des organisations internationales pour régler des questions environnementales. J’ai par exemple travaillé sur le Protocole de Montréal, probablement le plus important traité environnemental international de l’Histoire, qui a progressivement interdit les gaz appauvrissant la couche d’ozone et donc a permis de résorber le trou de la couche d’ozone. Je suis maintenant impliqué auprès de l’ONU pour co-construire un traité international visant à limiter la pollution plastique. C’est l’un des plus gros challenges de notre génération.

Je suis maintenant impliqué auprès de l’ONU pour co-construire un traité international visant à limiter la pollution plastique

Sommes-nous des malades du plastique ?

On a mis plus de plastique sur le marché ces 20 dernières années que tout ce qui avait déjà été produit jusque-là depuis que ces matériaux existent. Et on commence à en voir les dommages : dans certaines régions, les sols ont tellement de particules qu’ils ne sont plus fertiles.

Or, on ne peut pas réduire la pollution plastique sans s’intéresser à la production de plastiques vierges.

Il faut commencer le travail au moment où le plastique est conçu, c’est ce qu’on appelle la polymérisation. Il y a des polymères particulièrement problématiques à éliminer en priorité, parce qu’ils sont toxiques, impossibles à recycler, ou facilement remplaçables. Ensuite, il faudra réduire la consommation des autres plastiques, avec un gel de la production.

pollution plastique dans les océans

Pendant longtemps, on ne s’est pas rendu compte de la dangerosité de ces matériaux, malgré quelques images choquantes de tortue avec une paille dans le nez. Mais ce n’est pas le seul problème. Par exemple, la pollution aux microplastiques pour la vie marine est équivalente à la pollution de l’air pour nous.

Il faudrait trouver un seuil marquant, à l’instar du 1,5°C pour le climat, au-delà duquel la vie ne serait plus possible pour les espèces marines, ou du moins au-delà duquel l’océan perdrait ses fonctions clés.

Je ne doute pas qu’il existe des seuils pour les microplastiques dans l’océan au-delà desquels nous subirons des impacts fondamentaux et irréversibles. Tout comme 1,5°C est le moteur de l’ambition climatique en raison de la planète fondamentalement différente que nous laisserons à nos enfants si nous dépassons ce seuil, j’aimerais savoir quel est l’équivalent pour les plastiques afin que nous puissions également tracer une ligne rouge.

Nous savons maintenant que les principales sources de microplastiques sont la poussière de pneus, les fibres textiles et les granulés eux-mêmes, ces matières premières que vous moulez et fondez. Ces sources pénètrent dans l’environnement directement sous forme de microplastiques et sont très problématiques car elles peuvent pénétrer directement dans les organismes, ce que les macroplastiques ne font pas.

Et puis, c’est quand même une problématique qui va nécessiter des changements immédiats et importants dans nos styles de vie, donc il a fallu du temps pour qu’on s’y intéresse.

la pollution aux microplastiques pour la vie marine est équivalente à la pollution de l’air pour nous

Quels sont les 3 chiffres à avoir en tête ?

Nous avons produit environ 460 millions de tonnes de plastique en 2019, ce qui a généré 1,8 milliard de tonnes d’émissions de gaz à effets de serre.

Environ deux tiers des plastiques produits ont une courte durée de vie, comme les emballages ou les plastiques à usage unique.Enfin : il y a plus de microplastiques dans l’océan que de zooplancton.

Qu’est-ce qui ferait vraiment bouger les lignes ?

Ce serait une grosse erreur de l’accord international sur la pollution plastique que nous sommes en train de négocier que de reproduire ce qu’on a fait avec l’accord de Paris, c’est-à-dire ce qu’on appelle des “contributions déterminées nationalement”. Si on laisse les pays dicter leur propre niveau d’ambition, ça va être nivelé par le bas, avec des pays devant et d’autres qui traînent derrière. Le plastique, c’est un problème global qui a besoin d’une solution globale, donc on doit s’assurer qu’il y aura un socle commun qui s’appliquera à tous. Et pour ça, il faut des mesures légales et contraignantes. Je milite pour une approche équivalente à celle du Protocole de Montréal, qui comprend des mécanismes permettant de mettre en place des interdictions dans le futur sans ratifications supplémentaires. Ainsi, nous n’avons pas besoin de construire toute la maison maintenant, il nous faut simplement des outils et des fondations.

Comment agis-tu dans ta vie au quotidien ?

Chaque jour est différent, c’est l’un des aspects que j’apprécie le plus dans mon job, et j’agis justement en faisant mon travail. Certains jours sont plus calmes, à examiner des documents, consolider des informations, des arguments et des politiques ou préparer des briefs. D’autres jours sont plus tournés vers l’extérieur, avec les médias et les parties prenantes. Mais mon activité préférée est d’impliquer les gouvernements, qu’ils soient ou non animés des mêmes idées, influer leurs priorités, leurs positions et leurs stratégies. Pour une question comme celle qui nous anime, la négociation d’un instrument international entièrement nouveau pour faire face à une crise planétaire – la pollution plastique -, il y a beaucoup de travail à faire entre les grandes réunions officielles.

Dans l’ensemble, j’estime que mon travail a eu un impact considérable : de nombreux gouvernements ont maintenant plus d’ambition sur des tas de questions, aussi bien les problématiques de fond que la conception de mesures de contrôle tout au long du cycle de vie des plastiques ou des points plus techniques comme la conception d’un cadre qui non seulement produira des résultats immédiats, mais qui pourra évoluer avec le temps. Cette entreprise sera un effort générationnel, nous devons admettre que nous n’avons pas toutes les réponses maintenant.

Le premier objet du quotidien en plastique dont on peut se débarrasser ?

Les bouteilles en plastique. Le simple fait d’acheter une gourde et de l’avoir toujours avec vous est l’un des moyens les plus efficaces pour réduire votre consommation quotidienne de plastique.

pollution plastique sur terre. Photo d'un terrain complètement abandonné et saccagé par le plastique.

Un peu d’espoir ?

L’approche que nous avons adoptée pour le protocole de Montréal qui s’attaque à la couche d’ozone a été une réussite, en commençant en amont dès la production des substances. C’est ce qui fait que Montréal est considéré comme l’accord environnemental multilatéral le plus réussi au monde. Nous avons plaidé pour cela pour le prochain accord sur le plastique, et il y a un certain nombre de pays qui y croient fermement. De l’autre côté, il y a l’industrie, des marques comme Nestlé, Unilever, Pepsi ou Coca Cola, qui savent que ce sont leurs marques qu’on retrouve sur les bouteilles échouées sur la plage. Il y a un vrai risque pour leur réputation et elles ont un vrai désir de se diriger vers un modèle plus tenable. 

Un message pour les décideurs ?

Nous devons avoir le courage d’adopter des mesures de contrôle sur la production de plastique vierge, en éliminant les polymères problématiques qui sont toxiques, pratiquement impossibles à recycler et pour lesquels des substituts existent, et en parallèle de fixer des limites à des niveaux durables pour ceux que nous utilisons. Si nous n’abordons pas cette pollution plastique avec des mesures en amont, nous nous enfoncerons encore plus.

MoHo met la jeunesse au coeur de toutes nos actions. Quel message avez-vous pour eux ?

Feu ma grand-mère disait toujours que face à un problème, on peut faire n’importe quoi ou quelque chose, et ce n’est pas la même chose. Vous avez hérité d’une Terre qui, bien que ce ne soit pas de votre faute, souffre : changement climatique, pollution, perte de biodiversité… Ce ne sont pas des petits défis à relever. Je vous encourage à avoir la sagesse d’être impactants et le courage d’être déterminés.

Une info surprenante à nous partager ?

Il y a près de 25 ans, quand j’étais jeune et insouciant, j’étais sur une plage du Costa Rica à récolter des graines pour fabriquer des bracelets et des colliers. C’était un de mes passe-temps à l’époque. Et j’ai remarqué ces étranges petites choses rondes, de la taille d’une lentille, partout sur la plage. Ce n’étaient pas des cailloux ou des gros grains de sable, car je pouvais y enfoncer mon ongle. J’en ai rassemblé quelques-uns dans une boite de pellicule photo puis je suis rentré, j’ai repris la faculté de droit, et j’ai tout mis dans des boîtes.

Vingt ans plus tard, je suis à Paris et je travaille comme avocat spécialisé en environnement. Je venais de me lancer dans les plastiques et l’un des premiers problèmes sur lesquels je travaillais était les granulés, également appelés larmes de sirène, la matière première du plastique qui est fondue et moulée par les industries. Ils forment une source majeure de pollution par les microplastiques. En déballant des cartons après un déménagement, je me suis dit que mes enfants apprécieraient de faire, comme moi autrefois, des bracelets avec des graines, alors j’ai rouvert la boîte et je suis tombé sur le boîtier de film. Je l’ai ouvert, j’ai versé les billes dans ma main et, travaillant maintenant sur le problème, j’ai immédiatement réalisé ce que c’était : des microbilles de plastique.

J’avais ramassé sans le savoir ces billes qui polluaient une plage du Costa Rica il y a des décennies et qui polluent encore nos océans à ce jour. J’emporte toujours maintenant ces billes avec moi lors de réunions, pour partager l’histoire et inciter à l’action.

plage polluée aux billes microplastiques

Ton panthéon des incontournables du plastique ?

Juliet Kabera, directrice générale de l’Autorité rwandaise de gestion de l’environnement, et co-autrice du projet de résolution de la 5ème session de l’Assemblée des Nations Unies pour l’environnement (UNEA) qui a ouvert les négociations sur le traité international contre la pollution plastique.

A un niveau national, le Rwanda est déjà leader dans le domaine, ayant éliminé la plupart des types de plastique à usage unique. L’arrivée de ce pays sur la scène internationale a changé les termes du débat : en tant que pays enclavé, sans littoral, il a fait comprendre aux autres que la pollution plastique ne concerne pas seulement les déchets marins mais aussi les terres, et que nous devons repenser notre production et notre utilisation du plastique. Juliet continue de défendre un niveau élevé d’ambition dans les négociations mondiales en tant que membre du bureau du Comité de négociation intergouvernemental (INC) et coprésidente de la High Ambition Coalition to End Plastic Pollution.

Il ne faut pas non plus oublier la société civile, les héros méconnus de cette histoire. Elle en a fait un enjeu avant que ce ne soit un enjeu, luttant sans relâche pour convaincre un gouvernement après l’autre que nous devons nous unir pour faire face à cette crise planétaire. Ces débuts ont été difficiles et, sans leur énergie, nous n’en serions pas là où nous en sommes aujourd’hui : négocier un traité international. La société civile continue d’être à la pointe de l’ambition, apportant témoignages et arguments et demandant des comptes à nos dirigeants.

Comment je peux en savoir plus ?

La pollution plastique a capté l’imagination du public et des décideurs, et les informations ne manquent pas. Mon organisation, l’Environmental Investigation Agency, a produit de nombreux contenus sur la pollution plastique ainsi que sur la manière de la traiter, tels que les granulés, les emballages, les déchets plastiques, le matériel de pêche, les plastiques agricoles et de nombreux autres sujets, y compris le traité mondial sur le plastique. Je suggérerais donc notre site web et nos médias sociaux (nous avons un compte Insta avec plein de funfacts – saviez-vous que l’élevage était la cause n° 1 de la déforestation en Amazonie ? -, un compte Twitter, et bien sûr une page Facebook) comme point de départ.

En 2050, ce sera comment ?

Nous sommes à une croisée des chemins pour notre planète. Nous savons déjà qu’en 2050, la Terre sera beaucoup plus chaude, moins résiliente et plus chaotique. Mais nous ne savons pas si elle sera invivable, en proie à une pauvreté sans fin, à la guerre, à la sécheresse et à la famine, ou si nous serons sur la voie de la reprise avec le pire derrière nous. C’est ce qui est en jeu cette prochaine décennie et c’est pourquoi nous devons être ambitieux et capables d’aller vers de grands changements.

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