Etienne Klein : « La vulgarisation scientifique est-elle un échec ? »

« La connaissance est la seule chose qui ne se réduit pas en se partageant.» – Etienne Klein

Étienne Klein, physicien, philosophe des sciences et écrivain français, est reconnu comme un spécialiste de la physique des particules. Il est directeur de recherche au CEA (Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives) et se distingue par son talent de vulgarisateur scientifique. Son exploration de la physique quantique et de la question du temps fait de lui l’un des scientifiques les plus connus de France.

Le 4 mars 2022, le MoHo a eu l’honneur de l’accueillir lors d’un MoHoTalk. Au cours de cette soirée, Étienne Klein est revenu sur le fait de savoir si la science est toujours porteuse de progrès, s’il existe une vérité scientifique et comment réconcilier les Français avec la culture scientifique.

Voici quelques clés à retenir de son intervention :

PARTIE I – La Vulgarisation Scientifique, un enjeu politique et intellectuel crucial

Étienne Klein débute son intervention par l’importance de rendre les concepts de la physique quantique accessibles à tous, même à ceux qui n’ont pas fait d’études scientifiques approfondies. En France, où la libre circulation des connaissances est une tradition, cette démarche est vue comme une nécessité politique. La vulgarisation scientifique devient alors cruciale dans un monde numérique où les algorithmes peuvent enfermer les individus dans des bulles d’information, renforçant ainsi leurs croyances existantes. La vulgarisation scientifique n’est donc pas seulement une question intellectuelle, mais aussi politique, car elle favorise la pensée critique et aide à prévenir la manipulation.

Pourtant, cette vulgarisation scientifique semble aujourd’hui menacée. Étienne Klein poursuit en se questionnant sur la réussite progressive ou le déclin de la vulgarisation scientifique. Il explique ainsi les difficultés rencontrées dans la transmission des connaissances scientifiques au grand public. La crise du Covid-19 a mis en lumière l’importance cruciale de la communication scientifique dans les médias et dans la société. Alors pourquoi cette opposition entre échec et réussite ? Pourquoi la vulgarisation scientifique est-elle devenue non seulement un enjeu intellectuel, mais aussi politique ? En revisitant son expérience passée dans la vulgarisation, notamment dans le domaine de la mécanique quantique, Étienne Klein souligne l’importance démocratique de la diffusion des connaissances scientifiques.

Le Covid-19 a stimulé ces enjeux : le manque de connaissances scientifiques a rendu les individus facilement manipulables.

En effet, dans un monde numérique où chacun peut construire sa propre réalité idéologique, la question de la vulgarisation scientifique devient essentielle. Il est temps de réfléchir collectivement à de nouvelles approches pour rendre la science accessible à tous, et ainsi lutter contre la manipulation et les biais idéologiques.

Pour appuyer ses propos, Étienne Klein revient sur le rapport de Daniel Cohen et son équipe réalisé en septembre 2021. Ce rapport d’État étudie, pendant le Covid-19, quels ont été en France et en Europe, les effets de la pandémie sur l’économie, sur la psychologie collective et sur la confiance accordée aux scientifiques. Lorsqu’on se penche sur les résultats de l’étude, cette dernière montre qu’au début de la pandémie en Europe, la confiance dans les scientifiques était très élevée, atteignant jusqu’à 90 %. Cependant, l’interprétation de ce chiffre reste floue : s’agit-il de 90 % des personnes faisant confiance aux scientifiques ou de 90 % des scientifiques ? Cette confusion est similaire à celle des pourcentages liés à l’efficacité des vaccins ou des tests, qui ne sont pas clairement expliqués.

En France, contrairement à d’autres pays européens, la confiance dans les scientifiques a chuté de 20 points en 18 mois.

Étienne Klein explique ce problème par le fait que la science et la recherche ont été présentées de façon biaisée dans les médias français pendant la crise sanitaire.

En France, on a tendance à croire que la science et la recherche sont une affaire de personnalité, de génie individuel, ce qui pourrait avoir contribué à cette baisse de confiance.

En effet, cette question de la confiance envers les scientifiques peut être abordée de différentes manières. Mais elle reste encore centrale dans notre société, surtout face aux différents enjeux tels que le changement climatique ou la pollution. Il est important de relever que la confiance dans les scientifiques peut être interprétée de différentes façons :

  • Croire en la vérité de leurs paroles,
  • Faire confiance à la démarche scientifique pour produire des connaissances objectives,
  • Faire confiance à la science pour relever les défis actuels.

Cependant, cette baisse de confiance envers les scientifiques en France met en lumière des problèmes plus profonds. Albert Einstein a un jour déclaré que ceux qui utilisent la technologie sans en comprendre les principes devraient avoir honte. Cette affirmation soulève plusieurs points importants. Tout d’abord, il est difficile d’exiger que tout le monde soit compétent dans tous les domaines scientifiques (voire même impossible).

De plus, la technologie moderne crée souvent un éloignement entre l’utilisateur et les principes scientifiques cachés, rendant souvent la compréhension de ces principes inutile pour l’utilisation de la technologie.

Enfin, contrairement à ce que soutenait Einstein, la technologie moderne crée souvent un rapport magique avec les objets techniques, éloignant encore plus les gens des principes scientifiques qui les sous-tendent.

PARTIE II – L’avenir de la Vulgarisation Scientifique à l’ère de la Sur-information

Avant la pandémie, la vulgarisation scientifique semblait être un succès. Les livres étaient lus, les conférences suivies, et certains jeunes étaient même inspirés à poursuivre des études scientifiques. Cependant, cette impression de réussite est biaisée. En réalité, la majorité du public n’est pas touchée par ces activités de vulgarisation.

La crise du Covid-19 a mis en lumière le fait que beaucoup de gens n’ont jamais été exposés à un raisonnement scientifique, à l’histoire des découvertes, ou même à des notions de base en science. Beaucoup de personnes ont des appréhensions ou des traumatismes liés à l’éducation scientifique qu’elles ont reçue, ce qui les rend réticentes à s’intéresser à la science.

Il est donc essentiel de repenser la façon dont les sciences sont enseignées à l’école afin de les rendre plus accessibles et moins associées à la sanction et plus au plaisir du questionnement.

Aussi, la crise du Covid-19 a également révélé l’importance de la manière dont la science et la recherche sont présentées dans les médias. Les conférences de presse, où les chercheurs ont pu expliquer ce qu’ils savaient et ce qu’ils ne savaient pas sur le Covid-19, ont été des exemples concrets de communication scientifique.

Pour poursuivre l’argumentation, Étienne Klein se confie sur le livre de Bernard Williams, philosophe anglais, qui avant la pandémie du Covid-19 a écrit « Vérité et Vérité ». Dans ce livre, l’auteur met en avant un premier courant de pensée, le « désir de véracité », qui est le souci de ne pas être trompé par des discours officiels tenus par des figures politiques, des industriels ou des lobbies. Ce désir est sain en démocratie, car il encourage à vérifier les informations et à rechercher la vérité. Néanmoins, ce désir de véracité peut conduire à des théories du complot et ne conduit pas toujours à l’identification de la vérité. Il déclenche un esprit critique généralisé dans la société, remettant en question l’existence de vérités absolues. Ainsi, le désir de véracité aboutit parfois au déni de la vérité, car dès qu’une vérité est identifiée, on se demande si elle n’est pas relative et contextuelle.

« L’obésité de l’esprit » et « l’ultracrépidarianisme »

De plus, notre société actuelle est soumise à un flux constant d’informations que nous recevons, il est difficile de distinguer la connaissance de la croyance, surtout avec la circulation de fake news et d’opinions. Il devient alors quasiment impossible de vérifier les sources, ce qui laisse notre cerveau perdu, car il n’a jamais été formé à gérer un tel flux d’informations. Ainsi, la formation à la vérification des informations devient essentielle dans un monde où le désir de véracité peut mener au déni de la vérité. Pour appuyer ses propos, Klein prend l’exemple suivant en faisant référence à la surcharge informationnelle : l’obésité de l’esprit.

Enfin, ce flux constant d’information amène à penser que l’on maîtrise tous les sujets. On remarque que les individus compétents et modérés ne s’engagent plus dans le débat, préférant rester en retrait. Il est donc nécessaire que ces “sachants” modérés s’engagent activement dans le débat public, sans quoi les positions radicales risquent de dominer le discours. En effet, il est inquiétant de constater que chacun a un avis sur des sujets complexes tels que le nucléaire ou encore l’intelligence artificielle, sans pour autant avoir suffisamment de connaissances sur ces questions.

Étienne Klein nomme ce phénomène « l’ultracrépidarianisme », qui consiste à parler avec assurance de ce que l’on ignore. Le crépidarianisme nous rappelle de ne parler que de ce que l’on connaît. Dans une société démocratique, il est naturel de discuter de nombreux sujets, même sans être expert. Cependant, l’ultracrépidarianisme devient problématique lorsque l’on prétend connaître la réponse à une question pour laquelle personne ne la détient.

Il est important de reconnaître nos limites et de favoriser des débats constructifs et éclairés.

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